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Books and Music

Anna Gavalda : "Il y aura beaucoup de versions de La Consolante"

Posted on April 18 2008

(Interview réalisée par mail les 16 et 17 mars 2008)

Quand vous écrivez, dans quelles conditions vous mettez-vous ? Où et quand, avec quels outils, dans quelle atmosphère, avec quelle musique ?

Je m’y mets quand les enfants sont couchés, je travaille sur un ordinateur portable et dans un atmosphère enfumée (mais pour la dernière fois) (je l’ai promis à mes poumons) (qui m’ont répondu : à d’autres...) (mais j’aurai le dernier mot) (c’est mon métier), j’écoute de la musique de plus en plus fort pour me maintenir éveillée et quand Michael Jackson se met à hurler Just beat it, beat iiiit je renonce. En général il est trois heures du matin.

Quatre ans entre Ensemble c’est tout et La consolante. A quoi les avez-vous occupés ?

A digérer ce livre, à assurer son lancement dans plusieurs autres pays, à préparer techniquement La Consolante (recherches etc.) à me dire que je n’y arriverai jamais, à repousser toujours le moment de sauter, à sauter, à revenir cent fois sur le métier, à polir, à dégraisser et à me flinguer le sommeil.

Pouvez-vous expliquer ce titre ? Comment les trouvez-vous en général ?

Non, je ne peux pas l’expliquer, il faut aller jusqu’au dernier mot de l’histoire pour le comprendre vraiment. En général et pour les précédents, je choisis une expression dans le manuscrit, cette fois j’avais l’idée avant de terminer

Comment résumeriez-vous votre nouveau livre? L'histoire dde gens malheureux puis heureux?

C’est la vie d’un homme pendant un peu plus d’un an et regardée sur la lame d’un microscope. Ou plutôt son encéphalogramme, les oscillations de ce qui palpite encore un peu chez lui...

On dit que ce livre est plus sombre. Vous trouvez aussi ?

Plus sombre et plus lumineux à la fois. Hier, au Salon du Livre, j’ai dédicacé des dizaines d’Ensemble à des jeunes filles, mais je pense que La Consolante ne leur parlera pas autant. Le protagoniste a l’âge, et les affres, de leurs vieux papas, elles le kifferont moins...

Votre héros principal est un homme de 47 ans qui a envie de respirer… Comment avez-vous réussi à vous glisser aussi bien dans sa peau ?

C’est lui qui s’est glissé dans la mienne parce que je suis très poreuse. J’ai mué et ai dû me raser tous les matins...

Question banale : qu’y a-t-il de vous dans Charles, Anouk et Kate ?

Tout. Mais rien. A eux trois, ils me sont un prisme. Comme Charles j’échafaude, comme Anouk j’ai le vertige et comme Kate, je pense qu’ouvrir ses bras le plus grand possible est la seule réponse acceptable face à un monde qui voudrait tous nous les faire garder le long du corps.

Je pose toujours cette question aux écrivains que je rencontre (même par mail) : aimez-vous vos personnages ?

Devinez...

Avez-vous déjà croisé un Charles, une Kate et surtout une Anouk, cette femme « avec qui tout était possible » ?

Pas eux exactement mais des nuances d’eux. Anouk est de la même famille que le personnage joué par Gena Rowlands dans Une femme sous influence de Cassavetes et puis ma meilleure amie lui ressemble un peu, femme solaire, drôle, généreuse, toujours partante pour faire la fête et toujours au bord d’un je ne sais quoi de très blessé... Bref, un trésor.

Un des personnages, Claire, la soeur de Charles, semble sous-exploité. Elle ne vous intéressait pas plus que ça ?

Elle existe dans L’échappée belle, longue nouvelle hors commerce mais que je republierai un jour. Moi aussi, elle m’a manquée... Mais elle reviendra. Simplement cette histoire-là n’était pas la sienne...

Lorsqu’ils se quittent la première fois, Kate demande à Charles d’aller dans une certaine librairie à New York et de « respirer en pensant à moi ». C’est beau mais qu’est-ce que cela veut dire ?

Depuis quand les trucs beaux devraient dire quelque chose ?

« Tout est histoires, Charles… Absolument tout et pout tout le monde… Seulement on ne trouve jamais personne pour les écouter… », écrivez-vous. Vous en tout cas trouvez des gens pour écouter les vôtres (et même les lire). Ils sont nombreux et de profils incroyablement divers. Pourquoi cette sorte de communion ?

Je ne sais pas. Peut-être parce que je leur raconte des histoires justement... Hier, en dédicace, une dame m’a dit :

- Vous savez pourquoi vous devez continuer à écrire, Anna ?

- Euh... non...

- Parce qu’ils ont encore repoussé l’âge de la retraite et moi j’ai besoin de vous pendant mes trajets...

Bon... la voilà la communion : faire oublier les directives du Bulletin Officiel...

Vous avez déjà été interrogée sur le chapitre 11 de la dernière partie du livre, où vous évoquez le bonheur et la façon d’en parler et où vous semblez lancer plusieurs messages (aux lecteurs, aux critiques, à vos proches peut-être). Pourquoi ce chapitre ?

Je ne lance jamais de message, à personne. Pas même à mes propres enfants. A la place, j’essaye de montrer l’exemple. En l’occurrence, montrer l’exemple c’était jouer à saute-mouton par-dessus les idées préconçues. Ce chapitre était une pirouette, une façon de dire à mes lecteurs prenons notre élan et allons-y. On va peut-être se casser la gueule mais au moins on aura essayé..

Vous adoptez très vite dans le livre un style souvent télégraphique et vous avez surtout recours à l’omission du pronom personnel. Le récit y trouve du coup un rythme très spécifique. Pourquoi ce choix ?

Le pronom personnel - ou Charles en tant que sujet- disparaît à mesure qu’il se « fantômise ». A force de le diluer je lui fais perdre son identité. Mais il manque de pronoms à ce texte, j’en suis consciente. J’en ai remis au troisième tirage et je pense que ce livre n’est pas encore sec. Je l’ai rendu trop vite (à cause du salon du livre). Je ne travaillerai plus ainsi et le corrigerai encore. Il y aura beaucoup de versions de La Consolante et avec un peu de chance, celle pour le poche me conviendra presque...

Comment ressentez-vous les analyses sur votre so-called (comme disent les Anglais) littérature de bons sentiments ?

Les anglais justement, du moins leurs critiques, n’ont pas ce problème avec les bons sentiments. J’ai un ami anglais écrivain qui est halluciné par cet espèce de procès d’intention à mon sujet. On a écrit plein de choses sur les histoires de Nick Hornby (Haute Fidélité, Á propos d’un garçon) mais on ne lui a jamais fait les gros yeux parce que ses personnages seraient plus sensibles que le voisin. Idem pour leurs comédies dites sentimentales, genre Quatre mariages et un enterrement ou Love actually... L’important, c’est l’histoire, the fucking plot. Et puis certains confondent les bons sentiments et les sentiments tout court, c’est leur problème après tout. Si mes personnages sont tellement généreux, c’est probablement parce que j’en connais un rayon. Des journalistes très littéraires et plein d’imagination me demandent souvent ce que je fais de mon argent... Eh bien, ça : Noël tous les jours de l’année...

Vous dites que les gens généreux font de beaux personnages. Pourquoi ?

Parce que la vie est plus amusante à leur contact. Je parle bien sûr d’une générosité d’esprit, d’une hauteur de plafond, d’une façon d’envisager le monde autrement que comme un punching-ball.

Lorsque Kate reprend goût à la vie à l’occasion de ses premières vacances dans le village où elle viendra vivre, elle dit : « Je recommence à lire des livres qui racontent des histoires tristes, mais inventées ». Quelle est la fonction essentielle des livres selon vous ?

Selon moi comme selon Kate : reprendre goût à la vie. Ne pas la perdre de vue du moins...

Quels livres ne vous quittent jamais (physiquement ou pas) ? Et sauriez-vous en recommander trois essentiels à n’importe quelle personne, quelques soient son âge et son profil ?

Le seul qui ne me quitte jamais physiquement, c’est le dictionnaire des synonymes rédigé par Henri Bertaud du Chazaud et auquel je rends hommage à la dernière page de La Consolante.Je ne crois pas aux livres « essentiels », la seule chose essentielle, c’est la curiosité intellectuelle. Peu importe que ce soit pour acheter le dernier numéro de Moto Cross magazine ou Les Confessions de Saint Augustin. L’essentiel, c’est d’entrer en solitude de temps en temps pour en sortir différent.

Quand vous étiez professeur de français, vous lisiez des histoires du Petit Nicolas à vos élèves. Quelle est votre préférée et que représente Goscinny pour vous ?

Je n’en ai pas de préférée et Goscinny c’est... la grande classe. Divertir avec élégance, travailler comme un chien, faire en sorte que cela ne se sente jamais, avoir beaucoup d’estime pour ses lecteurs et ne pas se prendre au sérieux. Il était tout cela. Et il en est mort très jeune d’ailleurs...

Vous avez effectué deux énormes séances de dédicaces au Salon du livre. Comment abordez-vous cet exercice, cette rencontre avec des lecteurs, à la fois très intime et très artificielle ?

Pas très intime hélas, mais pas artificielle du tout. Les gens ne sont pas débiles, ils ne feraient pas la queue quatre ou cinq heures s’il y avait un truc artificiel au bout. C’est important pour eux de me rappeler que mon travail les aide à vivre et c’est apaisant pour moi de l’entendre. Il n’y a rien de plus solitaire que la vie d’un écrivain et ces gens me rappellent, que non, je n’étais pas toute seule avec Michael Jackson...

La passion que vous déclenchez – je ne parle que de celle de vos lecteurs - vous enchante ou vous embarrasse ?

Elle m’embarrasse tellement que je vais m’en débarrasser. C’est une question de survie artistique pour moi. Ça sonne pompeux mais je me comprends. J’ai l’impression d’une chute de cheval : le phénomène est tout courbaturé. Soit je me remets au travail tout de suite, soit je ne publie plus rien pendant dix ans. La seule chose qui me tracasse, ce sont les trajets de cette dame précédemment citée... Je veux bien continuer de lui raconter des histoires mais après ma tournée chez les libraires et les deux ou trois pays où j’ai promis d’aller montrer mon ours, je quitterai définitivement la vie publique.

La consolante, d'Anna Gavalda
Le Dillettante

In Metrofrance.com le 18 avril 2008

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